La torture "propre", une invention américaine
On peut démolir quelqu'un sans le frapper ni le toucher. La torture propre est une invention américaine, mise au point par la CIA et appliquée notamment à Guantanamo ou à Abu Ghraib. Un documentaire glaçant mais indispensable, à voir sur Arte, donne la parole à des victimes, des spécialistes, et un ancien bourreau.
Ce film est glaçant, autant vous prévenir. Mais il est indispensable et très bien documenté. Arte propose mardi 26/11 à 22h30 (ou ici en replay) un remarquable travail d'enquête sur la torture dite "propre", celle qui ne laisse aucune trace. On peut détruire complètement quelqu'un, le briser, le démolir, sans pourtant le frapper ni lui infliger aucun sévices. La torture propre est une invention américaine.
Privation sensorielle
Ce sont des techniques élaborées par la CIA, au sortir de la deuxième guerre mondiale, avec la complicité de grands universitaires, de psychiatres, de neurologues. Elles reposent notamment sur la privation sensorielle : imposer le silence complet à quelqu'un, lui bander les yeux, lui envelopper les mains, ne pas entrer du tout en contact avec lui pendant des heures, des jours, des semaines. Les étudiants qui se sont portés volontaires pour "tester" ces méthodes à l'époque racontent à quel point c'était insoutenable, inhumain. Et l'application militaire de ces expériences, on la trouve à Guantanamo ou à Abu Ghraib. Des détenus que l'on force à porter des masques, des gants, des casques, pour les priver de tous leurs sens.
La journaliste Auberi Edler, donne la parole à des victimes, à de nombreux spécialistes, mais aussi à Tony Lagouranis, ancien soldat de l'armée américaine. Il semble franchement mal en point aujourd'hui. Il décrit les tortures qu'il a infligées en Irak. Pour rien, il en est convaincu :
Seuls de rares individus qui me sont passés entre les mains détenaient des informations. Mais pour la plupart, ils avaient été appréhendés parce qu’ils étaient des hommes en âge de se battre, ou on les avait arrêtés lors d’une rafle. Je ne crois pas que la torture soit utilisée dans le but d’obtenir des renseignements ou des aveux. Le plus souvent, elle sert à exprimer de la peur ou de la colère.
On se souvient du scandale d'Abu Ghraib : les interrogateurs et les gardes ont été inquiétés dans cette affaire, mais pas leur hiérarchie. Or ce que montre ce documentaire implacable, c'est que personne ne s'improvise bourreau. La torture est bien un système.
L'expérience de Zimbardo
L'un des passages les plus marquants de ce documentaire concerne l'expérience de Zimbardo, menée à la prestigieuse université de Stanford dans les années 70. Une expérience aujourd'hui très décriée, qui consistait à prouver que des gens ordinaires, dans un contexte propice, pouvaient devenir d'atroces bourreaux. Expérience commanditée par la CIA, via un organisme de façade. Eh bien le psychologue Philip Zimbardo, qui a plus de 80 ans aujourd'hui, témoigne aussi dans ce film. Il explique tranquillement qu'en humiliant le plus possible les détenus (de faux détenus, qui étaient des étudiants volontaires), on rendait les bourreaux (de faux bourreaux, là aussi) de plus en plus cruels. L'expérience de Zimbardo est un simulacre de celle, plus célèbre, de Millgram. Elle a aussi influencé l'armée américaine. Tout ça pour quoi? Obtient-on vraiment des informations grâce à la torture? Bien sûr que non, répondent les spécialistes interrogés. Rebecca Gordon est professeure de philosophie à l’université de San Francisco :
On s'est habitués à l'idée qu'il serait moralement acceptable de ne reculer devant rien pour se sentir en sécurité.
La torture est dévastatrice pour celui ou celle qui en est victime, bien sûr, mais aussi pour la société, pour la démocratie, qui fait sienne cette cruauté. Et puis il y a une chose qui vous fera peut-être sursauter : la référence à "24 heures chrono". Plusieurs témoignages concordants montrent que certaines techniques de torture utilisées par l'armée américaine sont directement inspirées de cette série télé. Que vous ayez été fan ou non à l'époque, vous ne verrez plus jamais Jack Bauer de la même façon.
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