À la mi-mars, je reçois un sms pour
me poser cette question:
"J'aurai besoin de toi en très
privé pour me faire des aiguilles. Si je suis capable de supporter.
Serais-tu intéressée par une performance publique dans le cadre du
vernissage d'un livre ?"
Je me suis empressée de lui répondre
que "oui oui ouiiiiiiiiiiiiiiii" j'étais d'accord.
Je ne peux qu'être d'accord car
j'adore faire les aiguilles et de plus j'adore me faire voir. Elle
m'a proposé ce projet car elle sait que j'aime faire de belles
choses. L'esthétisme est pour moi très important. Je suis flattée.
Bon ok, j'avoue que j'ai un peu flippé
deux jours plus tard quand j'ai réalisé que j'allais être reconnue
par du monde, car qui dit vernissage, dit journalistes et tout ce qui
va avec.
Mais non. J'ai bien vite l'excitation
du challenge de la performance qui a prit le dessus.
Et les choses se sont rapidement misent
en place.
D'abord nous nous sommes vues pour que
je puisse lui faire découvrir la sensation des aiguilles.
J'étais partie pour lui en mettre 5 ou
6 pas plus, histoire qu'elle se rende compte l'effet que ça
procurait.
Elle en a eu 29. De différentes
tailles, de différents diamètres et plantées de différentes
manières et à différentes profondeurs.
Évidemment, la sensation des aiguilles
est délicieuse.
Les endorphines libérées par le corps
procurent un véritable shoote. Une euphorie et un bien-être
envahissent le cobaye. Et bien sûr, une fois qu'on y goûte... on en
redemande, encore et encore.
Elle supporte merveilleusement bien les
aiguilles, nous pouvons donc confirmer notre présence au vernissage.
Il ne reste qu'à mettre au point le "numéro".
Le titre du livre est "swiss
trash". Le motif est donc tout trouvé. Elle veut une croix
Suisse dans le dos. Brainstorming à trois. Domino nous sera d'une
grande aide grâce à son génie créatif. Qu'est-ce qui serait le
plus esthétique pour représenter les couleurs de notre chère
patrie, le blanc et rouge. Les idées fusent. Des rubans de satin?
Des cordelettes fines? Du scotch apposé sur la peau puis percé? Des
perles?
Elle veut un final "trash".
Elle veut que je lui grave au cutter les lettres t, r, a, s et h dans
le dos pour un final percutant. Du sang, du sensationnel, elle veut
que son amie écrivaine soit époustouflée par la prestation. Je
m’émoustille, je m'enthousiasme, je ne peux qu'être archi ravie
de son idée!
Deux semaines plus tard, nous nous
revoyons pour la répétition générale. Plutôt méticuleuse, je
ressens le besoin de m'entraîner avant de m'exposer à un public. Je
ne supporterai pas l'affront d'un échec, ni même d'une erreur. Je
ne m'autorise pas la moindre défaillance devant témoins.
J'ai donc pour l'occasion soigneusement
préparé un canevas pour la croix, acheté des petites perles rouges
et blanches et commandé exprès pour l'occasion des aiguilles de
dentistes très fines pour qu'il y ait le moins de douleur possible
pour la supporter tout le long de la performance et assez longues
pour y enfiler des bijoux. Le bout en plastique de l'aiguille est de
couleur blanche. Parfait. Nous testons plusieurs façons de mettre
les perles. Avant. Après. Une rouge une blanche deux rouges. Une
seule. Il sera décidé que le bout blanc de l'aiguille et deux
perles rouges seront du plus bel effet.
Je suis très satisfaite du résultat,
car malgré les imperfections du brouillon, le tout est plus que
probant. Le projet tient la route.
Reste plus qu'à tester la viscosité
de son sang. Elle veut du trash, et pour avoir du trash il faut que
ça saigne. Je lui fais une fine ligne horizontale au scalpel entre
ses omoplates. Quelques gouttelettes perlent timidement. Je lui trace
une deuxième ligne. Décidément, elle ne saigne pas tant. Que
faire ? Trois croix seront encore gravées dans sa peau un peu
plus bas "juste pour voir". Mais le résultat n'est pas
celui espéré. Nous imaginons alors toutes sortes de stratagèmes
pour que l'effet soit un peu plus digne des grandes scènes
d'horreurs du cinéma de 3ème zone. Il faut que ça coule à flot,
sapristi !
Entre temps, nous préparons la
présentation de la performance.
Clem, c'est moi. Je garde mon nom du
milieu. Mais elle prendra le pseudo de Constance le temps de la
journée. Constance est l'héroïne du bouquin dont nous allons fêter
la réédition.
"Swiss trash" performance
d'aiguilles sur peau, inspirée par le livre éponyme, spécialement
imaginée pour ce vernissage.
Artistes: Constance et Clem.
Musiques tirées de la playlist du
roman: Death in June, Sex Pistols, Sonic Youth, Joy Division,
Pixies... et d'autres.
"Précise, piquante et
mystérieuse, Clem est une artiste intimiste et extrémiste n'ayant
comme limite que son imagination et sa morale. Sans cesse à la
recherche de nouveaux supports pour exercer son art qui lui est
propre, elle aime relever les challenges.
Usant et abusant de canevas mouvants ou
immobilisés, animés ou pas, elle puise ses inspirations chez des
artistes tels que le belge Wim Delvoye et l'anglaise Eliza Bennett.
Du côté musical le duo Die Antwoord,
où leurs musique ne prend complètement sens que grâce à leurs
visuel ou encore l'auteur-compositeur GiedRé qui tant plus à la
dérision.
Pleine d'humour et d'humeurs, Clem est
en constante évolution et s'amuse avec les codes pour surprendre le
spectateur encore et encore.
Constance, un de ses nombreux pseudo,
qui lui permet d'apparaître et disparaître à son grès dans les
limbes d'un "underground" plus obscure que celui de la
jet-set."
Nous nous sommes présentées.
Maintenant, il n'y a plus qu'à...
Arrive enfin le jour J. J'ai fais et
refais des dizaines de fois ces gestes dans mon esprit. Je suis
prête. Je suis au taquet. Je suis excitée. Des événements
pareils, j'adore ! Constance aussi est excitée. Nous sommes une
belle paire de filles montées sur ressorts. Nous nous installons
gentiment. Nous faisons un petit tour de ring, puis nous nous
lançons.
Elle se couche sur la table. Me
présente son dos. Un énorme taureau ailé m'y attend déjà. Je
désinfecte soigneusement sa peau. Le taureau me regarde dans les
yeux, comme pour me dire "ne fais pas d'erreur". Non, qu'il
ne s'inquiète pas, je suis concentrée.
J'ai enfilé des perles. Littéralement.
Mais j'ai aussi piqué la peau, transpercé la chaire, guidé la
pointe jusqu'à ce qu'elle ressorte de l'autre côté. Quelle
sensation extraordinaire. Et j'ai recommencé. Consciencieusement.
Jusqu'à obtenir une belle croix régulière au milieu de son dos.
Moins de 50 minutes pour obtenir le motif final. Une soixantaine
d'aiguilles ornent son dos. 120 perles rouges. Pas une seule n'est
tombée par terre. Pas une aiguilles n'est de travers. Chaque chose à
sa place, chaque place a son aiguille.
Elle se redresse puis se lève, la peau
bouge, ce qui donne un tableau mouvant, vivant, la croix se réveille.
Les gens très silencieux pendant le travail commencent à poser des
questions. Eux aussi se réveillent d'une espèce de léthargie.
Comme s'ils craignaient de réveiller la douleur de Constance avec le
son de leur voix.
"Est-ce douloureux ? Pourquoi
faire ça ? Quel est le but de la manoeuvre ? Quels
conseils me donneriez vous pour faire la même chose chez moi ? Et
cetera. "
Constance est comme moi. Nous sommes
sur un autre plan. Emerveillées. Elle, à cause des endorphines et
très fière d'avoir supporté la douleur sur le long terme sans
avoir bougé. Et moi, car mon oeuvre est parfaite.
Maintenant une autre étape nous
attend. Le final.
Mais avant nous faisons un nouveau tour
de ring et profitons des autres artistes présents au vernissage. Une
danseuse burlesque, un chanteur et un plasticien. Chacun dans son
genre, nous sommes tous réunis autour du même livre. Nous avons
tous un peu de "trash" en nous.
Je prépare le scalpel. Constance se
recentre. Elle a prévu un bracelet de cuir pour pouvoir mordre
dedans. Elle ne doit pas bouger si je veux pouvoir tracer précisément
les lettres. Aucun artifices n'est finalement prévu. Ce sera
seulement ma lame, sa peau et son sang. Je lui signale le départ.
Elle prend le cuir en bouche. Je visualise les lettres au centre de
la croix. Je trace du bout du doigt le "A". Je sais
parfaitement où se situeront les quatre autres. J'appose la pointe
du scalpel sur sa peau et je démarre.
Le temps se ralenti. Je trace le t,
puis le r et dans la foulée le a, puis vient se positionner le s, le
h est fini. Je me redresse. Le temps se détend comme un élastique
tendu à fond, qui revient doucement à sa forme initiale. Je vois le
sang qui coule. Il coule magnifiquement bien. Il coule le long de son
dos. Les trainées sont régulières et semblent ne pas vouloir se
tarir. Le TRASH se pare d'une sève pourpre.
Je regarde les gens derrière moi. Je
passe de l'autre coté de la table, je vois les étoiles dans les
yeux de Constance. Sa seule crainte était d'être sèche comme le
Sahara. Mais son sourire me dit qu'elle sent le sang couler. Je
regarde le public. Il n'ose pas bouger. Je leur déclare que la
prestation est terminée et qu'ils peuvent applaudir. Ce qu'ils
feront avec chaleur.
Je suis fière de Constance, je suis
fière de moi, je suis si heureuse du résultat.
Si tout le monde n'a pas comprit le but
de la performance, j'ai trouvé qu'il régnait une tolérance
agréable au sein de l’assistance.
Je remercie Constance de m'avoir
proposé ce projet et de m'avoir fait confiance.
Clem' alias Lady Dragonne
Impressionnant en effet. J'imagine que le marquage n'est pas permanent ? Combien de temps faut-il à la peau pour cicatriser et faire disparaître les marques de scalpel ?
RépondreSupprimerMildCBT
Cela dépend de chacun.
SupprimerConstance a une chance extraordinaire de cicatriser très rapidement.
Pour exemple, les lignes tracées à peine un mois auparavant lors du test, ne se lisent que quand on sait qu'elles ont été là. Deux très fines petites lignes rosées.
Les lettres tracées sont plus profondes. Deux jours après elle cicatrisait déjà.
Constance mettra sans doute bien moins de 6 mois à voir complètement disparaître les marques, à mon avis. Ce qui est très rapide.
en attendant ça gratte!!!! MDR ça me rappelle étrangement la sensation de cicatrisation du tatoo.Et le pire c'est de ne pas céder a l'envie d'arracher les croutes et a frotter pour soulager la sensation ;-)
RépondreSupprimerCourage! C'est pour la bonne cause. ^^
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