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«Mâles alpha»: L’influence grandissante des coachs masculinistes inquiète
Sur YouTube, Tik Tok mais aussi sur des groupes de discussion privés, des «coachs» autoproclamés distillent leurs conseils pour devenir un «mâle alpha». Les forces de l’ordre sont sur le qui-vive.
L’influenceur masculiniste britannique de 36 ans, Andrew Tate, cumule des millions d’abonnés sur les réseaux sociaux.
Instagram/Andrew Tate
Les femmes «disent des mensonges». Les femmes sont «intéressées». Et elles adorent «se sentir inférieures à un homme». Du moins à en croire des «coachs en séduction» qui officient en ligne dans une vaste sphère masculiniste dont l’influence inquiète, aussi en Suisse.
Face caméra, casquette vissée sur le crâne, le youtubeur «Vinc Wolfenger» entame ses vidéos par une promesse à ses «potos» internautes: il va leur «parler vrai». «Si tu arrives à la mettre K.-O. psychologiquement, c’est toi qui prends les rênes. Et tu te dois de prendre les rênes parce que tu es un homme. L’homme est fait pour dominer», assène-t-il, yeux clairs plantés dans ceux de ses abonnés. Sa vidéo de mai 2022 intitulée «Comment amener une femme à te respecter ?!» a été visionnée près de 97’000 fois. La réponse du youtubeur tient en six mots: «Mauvais comportement: punition. Bon comportement: récompense.»
«Vinc Wolfenger» n’est pas seul sur ce créneau. Sur YouTube, TikTok ou sur des groupes de discussion privés, des «coachs» autoproclamés alternent conseils pour «la rendre accro» et mises en garde contre les «vices» des femmes. Objectif: devenir un «mâle alpha».
«L’idée derrière l’idéologie masculiniste est de réaffirmer une position que les hommes auraient perdue dans la société actuelle, notamment en raison des luttes féministes», explique Mélanie Gourarier, anthropologue au CNRS, auteure d’«Alpha mâle, Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes» (Seuil). Sollicités par l’AFP, aucun des coachs cités n’a donné suite.
Un phénomène difficile à quantifier
Dans son dernier rapport, publié en novembre, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dit avoir porté son attention sur «plusieurs youtubeurs» masculinistes «très en vogue» et susceptibles d’induire un «endoctrinement». Le phénomène est toutefois difficile à quantifier, l’indicateur du nombre de spectateurs ne reflétant pas forcément l’influence effective des coachs.
La Miviludes dit aussi avoir traité en 2021 «des saisines venant de la France entière relatives à Jean-Marie Corda et à sa communauté». Cet ancien acteur porno de 37 ans se dit coach «sexuel» et en «développement personnel». Outre des conseils pour s’«enrichir rapidement», il vend des formations en ligne à 97 euros pour trouver une partenaire «sans trahir son identité» ou apprendre à obtenir une érection «sur commande». En 2018, il expliquait considérer que son «job» était de «reviriliser la population mondiale». Il encourage désormais ses abonnés à s’expatrier en Europe de l’Est, «paradis terrestre» où ils pourront faire fortune. D’après la Miviludes, les saisines le concernant émanent de «parents inquiets de son influence exercée sur des jeunes hommes entre 17 et 28 ans».
En août 2022, Jean-Marie Corda disait son admiration pour Andrew Tate, un influenceur masculiniste britannique de 36 ans qui cumule des millions d’abonnés sur les réseaux sociaux. Il a été arrêté en décembre en Roumanie, dans une affaire de proxénétisme. Au Royaume-Uni, des établissements scolaires préoccupés par sa popularité sensibilisent désormais leurs élèves à ses vidéos, où il livre, cigare en main et muscles à l’air, sa vision de la masculinité et du succès.
«Toutes ces vidéos ont pour conséquence de normaliser les violences à l’égard des femmes (…) Il y a des propos qui peuvent ne pas sembler graves d’emblée mais qui infusent petit à petit dans l’esprit des spectateurs», s’inquiète Violaine De Filippis-Abate, porte-parole de l’association Osez le Féminisme. L’association dit signaler régulièrement des vidéos via la plateforme en ligne Pharos.
Forces de l’ordre attentives
«Susceptible d’encourager des postures hostiles, voire un passage à l’acte violent», le «culte viriliste» fait «l’objet d’une attention» des forces de l’ordre, a affirmé une source policière à l’AFP.
Sur sa chaîne YouTube, Mickaël Philétas proposait des conseils pour se «protéger» des «trois visages de la femme prédatrice» et vilipendait la «castration» des hommes par leurs conjointes. Ce youtubeur de 41 ans, autoproclamé «expert en masculinité», a été condamné fin janvier, à la prison à perpétuité par la cour d’assises des Yvelines pour l’assassinat de son ex-compagne. Il a fait appel de cette décision.
Lors du procès, l’une des psychiatres l’ayant examiné avait évoqué une «haine» des femmes. Dans son expertise, elle avait relevé des «vidéos aux titres terriblement annonciateurs». Mickaël Philétas y expliquait aussi s’identifier à la mouvance américaine «MGTOW» («Men going their own way», en français «les hommes qui prennent leur propre chemin»), qui rassemble des hommes jugeant néfastes la plupart des relations avec les femmes.
La communauté de la séduction et l’extrême droite
Outre leur chaîne YouTube, bon nombre de coachs animent aussi des groupes de discussion privés. Léo, psychologue âgé d’une trentaine d’années, mène un club de jeunes «dragueurs de rue», les «Philogynes». Il publie régulièrement des vidéos sur YouTube, propose un coaching privé «sur le terrain» ou au téléphone (à partir de 300 euros) pour apprendre à «comprendre les femmes» et s’entretient au quotidien avec les membres du groupe sur la plateforme Discord.
«Sur YouTube, il conserve une certaine prudence, il y a des règles de modération (…) En privé, le discours est différent», raconte Paul Conge, journaliste à Marianne, infiltré plusieurs mois au sein des discussions en ligne des «Philogynes», où le chef «commente les progrès de chacun» et leur suggère de devenir un «sale pervers».
Aux membres du groupe, le jeune coach recommande des livres de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral et d’Eric Zemmour. Notamment «Le Premier sexe», paru en 2006, que l’ancien candidat à l’élection présidentielle présentait comme «un traité de savoir-vivre viril à l’usage de jeunes générations féminisées». Dans son livre «Les grands remplacés» (Arkhê), Paul Conge note une «perméabilité» entre la communauté de la séduction et l’extrême droite, toutes deux nostalgiques d’un homme viril qui aurait été castré par le féminisme.
(AFP)
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