Trois ans de métier, plus de 800 clients… une ancienne prostituée témoigne
«Maintenant que j’y pense, devenir pute est encore plus facile que de se créer un profil sur Facebook», écrit Louise Brévins dans son livre. (Aldo Sperber/Hans Lucas)
Avec «Pute n’est pas un projet d’avenir», Louise Brévins livre un récit autobiographique précieux et captivant sur ces années en tant que «masseuse avec fin heureuse».
Dans son livre intitulé «Pute n’est pas un projet d’avenir», tout juste publié aux éditions Grasset, la Française Louise Brévins (son nom est un pseudonyme) résume trois années d’immersion dans l’univers du sexe dit «vénal». Son style trépidant, d’une remarquable concision, apparente son livre au polar, assaisonné d’humour glacial. Il vous happe dès les premiers mots. «Dylan, Vincent, John, Gabriel, Jacques, Henri… Ces putains de rues sont pavées de mes rendez-vous. J’ai dû voir les pénis de toutes les avenues parisiennes. Combien ? Il faut arrêter, je sais bien, pourtant, qu’il faut arrêter.» Pris au piège, le lecteur, lui, ne peut plus arrêter. Il dévore les 210 pages en se demandant : «Me serait-il possible de faire ce métier ?» Pour Louise Brévins, au départ, la question ne se pose même pas :«J’y suis entrée la corde au cou, nous dit-elle. Je n’ai pas vraiment eu le choix. Mais j’aimerais insister pour dire qu’à AUCUN MOMENT je n’ai été une victime. Je savais dès le début que ce serait pour un temps limité.»
«Je le referais si c’était à refaire»
Cela commence en septembre 2018, Louise Brévins trouve un meuble dans la rue et le ramène dans le studio qu’elle loue, sans prendre garde aux petites taches noires qui le constellent. Très vite, le studio – infesté par les punaises de lit –, devient invivable. Son propriétaire exige qu’elle paye la désinfection : deux mois de salaire. Louise est à découvert, avec une enfant de 6 ans à charge (le père est aux abonnés absents), sans personne pour l’aider. Prendre un deuxième boulot le soir ? Craignant qu’on lui retire la garde de sa fille, à qui elle ne peut même plus payer de fournitures scolaires, Louise Brévins choisit la solution qui paye le mieux, le plus vite. «Homme ou femme, nous sommes tous la pute de quelqu’un, une fois dans notre vie», se dit-elle, avant de mettre en ligne une petite annonce de trois lignes, accompagnée d’une photo floue, sur un faux site de rencontres qui propose pêle-mêle des vêtements, des offres d’emploi ou des massages à domicile.
«Maintenant que j’y pense, devenir pute est encore plus facile que de se créer un profil sur Facebook», écrit-elle, stupéfaite de la rapidité avec laquelle tout s’enchaîne. Un premier rendez-vous l’amène à rencontrer un marchand de champagne en deuil qui pleure contre ses seins (et y laisse de la morve). Deux heures à le consoler, 150 euros. Ravie, Louise Brévins se lance. Hôtesse d’accueil le matin, «escort» l’après-midi – pour un taux horaire multiplié par sept –, elle rembourse rapidement ses dettes et sort de son «enfer de pauvre». Fini les courriers de relance pour des factures impayées. Elle peut enfin soigner ses caries, manger sain, envoyer sa fille en colonie de vacances. «L’argent offre plus que le confort : la santé, la sécurité, la sérénité», dit-elle lors de l’entretien avec Libération, en énumérant tous les avantages du métier : autonomie, liberté dans la gestion du temps, confiance en soi… «Je le referais si c’était à refaire.»
Louise Brévins investit son argent dans un atelier, du matériel de peinture, afin de réaliser ses rêves. En parallèle, elle ouvre une activité d’autoentrepreneuse pour déclarer ses revenus, crée un site Internet et devient prestataire de «massages body-body avec fin heureuse» sous le nom d’Alma. Désormais disponible quatre jours par semaine, de 9 heures à 19 heures, elle gagne un salaire de cadre, mais… à quel prix ? «L’argent facile n’existe pas», répond-elle. Pour caler quatre massages quotidiens, il faut répondre à 300 mails chaque jour (et tout autant de messages dans le tchat), longuement négocier pour chaque rendez-vous (certains clients annulent au dernier moment), compter trois heures par jour de ménage (pour recevoir dans un studio propre) et, surtout, rester dans son rôle de femme «sensuelle», tout en se refusant aux hommes qui veulent lui fourrer un doigt ou lui mettre la langue où ils veulent, en abusant de leur pouvoir.
«Il y a le problème du dégoût, nous explique Louise Brévins. Tu as beau insister que le contrat, c’est un massage non-réciproque avec fellation, comme tu es nue, 90 % des clients essayent de t’imposer leurs désirs. Toi, tu es une brave fille avec une conscience professionnelle et tu ne veux pas les faire débander, donc tu dis “non” d’une voix douce pour arrêter la main baladeuse. Mais ils ne cessent de tricher. D’abord, l’air de rien, ils t’effleurent. Une fois, deux fois… Puis ils t’empoignent les seins par surprise.» Excédée, Louise Brévins mentionne aussi le cas des «peine-à-jouir», jamais contents. Elle a beau les sucer, ils continuent de rester demi-mous, l’accusant de n’être «pas gentille», exigeant qu’elle accepte de se soumettre à leurs fantasmes, sans aucun respect du contrat. «Mon job n’est pas de résoudre leurs problèmes sexuels», écrit Brévins. Mais ces hommes-là n’en ont cure. Ils deviennent grossiers, implorent, menacent, ironisent ou raillent pour parvenir à leurs fins.
«J’ai fini par avoir de l’eczéma»
A force d’abus, de chantage ou d’attouchements non consentis, Louise Brévins finit par craquer. «Petit à petit, j’ai fini par avoir de l’eczéma, raconte-t-elle. Le rôle que tu joues te ligote. Tu es censée faire jouir des hommes. Pour y parvenir, sous le nom d’Alma, tu dois entretenir l’illusion que tu fais ça pour le plaisir. Le client ne supporterait pas l’idée que tu le fasses pour nourrir ta gosse ! Pour un homme, le moment passé avec Alma relève de l’exception et se déroule dans un cocon protecteur, comme “une pause hors du temps” (sic). Mais pour toi, la séance de fellation lingam, c’est une de plus dans un planning chargé. Quand le client commence à dire qu’il aimerait bien t’embrasser pour jouir, dans ta tête, tu hurles : “Mais bordel, on avait convenu que non !”» Au bout de trois ans, Louise Brévins s’aperçoit qu’elle ne veut plus faire plaisir, ni arrondir les angles. Elle ne supporte plus l’odeur de l’huile et des bougies, associé au «travail», ni la musique relaxante (qui l’énerve). Il est temps d’en finir.
Ainsi qu’elle l’explique, se prostituer n’est, en soi, pas un mal. Plutôt le contraire. Encore faut-il savoir dire «non» aux clients. Son témoignage présente ceci d’intéressant qu’il peut servir de guide à celles qui débutent dans le métier sans en connaître les règles. Ces femmes-là sont nombreuses. Louise Brévins se moque des estimations officielles qui tournent autour de 30 000 à 45 000 prostituées en France : «Il faut savoir que 3 à 5 % d’étudiantes se prostituent, ce qui fait déjà 110 000 personnes. Sans oublier les femmes cachées du bois de Boulogne ou des pseudo-cabinets de massage, plus les droguées (celles de la rue Saint-Denis ou de la colline du krach, par exemple). À quoi il faut rajouter l’énorme population des occasionnelles anonymes qui exercent à partir de sites de rencontre.» A l’heure d’Internet, les prostituées prolifèrent. La loi française qui condamne les clients, sous couvert de les protéger, aggrave leur isolement, leur vulnérabilité, ce dont témoigne amplement le récit initiatique de Louise Brévins.
Louise Brévins, l'autrice de «Pute n’est pas un projet d’avenir» aux éditions Grasset. (DR)
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