Lucas, 26 ans: «Le sadomasochisme affine ma relation de couple»
Les pratiques BDSM vous semblent glauques et tordues? Un étudiant genevois explique en quoi elles développent au contraire douceur et compréhension entre lui et sa partenaire
«Quand j’étrangle ma compagne, je suis obligé d’être hyper-sensible, attentif à ses moindres signaux. Le BDSM n’est pas une pratique déviante, mais la meilleure manière de développer la confiance et la connaissance fine entre partenaires.» Le jeune homme qui s’exprime ainsi est un étudiant romand comme les autres. Jeans, t-shirt, cheveux courts, mine tranquille. Rien de particulier chez Lucas, joli Genevois de 26 ans qui a terminé un bachelor en sciences politiques et cherche dans quelle branche poursuivre sa formation. Pourtant, ses propos sidèrent. Ou, du moins, déplacent des lignes ordinaires.
Habituellement, le BDSM, pour bondage, discipline, domination, soumission, sadisme et masochisme, est associé à une quête intense, sinon violente, de sensations fortes. Une image sulfureuse s’en dégage et ses adeptes passent pour des acteurs sexuels de l’extrême. «Au contraire, corrige Lucas. Tout ce qu’on expérimente avec ma compagne Malika alimente une complicité profonde, une intimité très douce. Plus on teste, mieux on se comprend et plus on prend soin l’un de l’autre», assure le jeune homme.
Crachats, morsures, strangulations
Cela peut être des morsures. Des crachats sur le corps, dans la bouche, sur le sexe. Des talons qui labourent le dos. Des fessées. Des strangulations – mais sans ceinture. Et aussi des mots crus, des scénarios farfelus, des défis minutés, des frustrations orchestrées. L’arsenal du jeune couple est riche de combinaisons. «C’est génial», s’enthousiasme Lucas, qui tient à témoigner pour débarrasser le BDSM de sa connotation glauque. «On peut tout tenter, tout essayer, du moment qu’on en parle et qu’on établit un cadre de sécurité.»
Lucas a rencontré Malika il y a huit mois. Au départ, il était très impressionné par cette artiste et universitaire de 28 ans, militante féministe spécialisée dans le porno éthique, celui qui donne un pouvoir aux femmes, insiste sur le consentement et la qualité des conditions de tournage. «J’étais sûr que je n’arriverais jamais à bander tant j’étais intimidé! On ne dit pas assez à quel point les garçons évoquent peu le sexe entre eux et se sentent du coup démunis face à certaines filles à forte personnalité.» La parade à cette timidité? «On a attendu trois semaines avant de coucher. On a parlé, beaucoup, fantasmé sur ce qu’on aimerait faire, échangé sur toutes les formes d’amour, les interdits, les idées reçues, les a priori. Notre entente intellectuelle était si grande que lorsqu’on a couché ensemble, ça a été très vite exceptionnel», sourit Lucas.
Comment le BDSM est-il entré dans leur vie sexuelle? «J’ai très vite dit mon intérêt pour le sujet. Malika, experte en la matière, m’a donné toutes les clés, les codes, l’aspect théorique. Elle m’a instruit.» Une initiation qui a aussi impliqué un repositionnement. «Dans mes relations précédentes,
j’étais plutôt celui qui dominait. Avec Malika, j’ai dû apprendre à me faire également dominer et j’adore ça. J’aime qu’elle m’étrangle, me crache dessus. J’aime aussi lorsqu’elle me mord partout sur le corps.» Ce n’est pas douloureux? «Si, bien sûr que ça fait un peu mal, mais comme la phase du care suit la phase de la souffrance, il y a une récompense.» Le care? «Chaque agression a ses rituels, explique l’étudiant. Quand je donne une fessée, je ne la donne pas fort d’emblée. Je commence par de petites tapes, puis j’assène la fessée et ensuite, je masse la fesse endolorie. Pareil pour les morsures. Je débute avec de petites morsures avant la grande et ensuite, j’embrasse l’endroit agressé. C’est tout un processus qui demande beaucoup de patience et de sensibilité.»
Garce, OK, salope, non
D’accord, mais pourquoi ne pas sauter la phase ingrate et passer directement au moment cosy? Lucas rit. «Parce que ce ne serait pas aussi intéressant! Avec le BDSM, on expérimente toutes sortes de sensations et de résistances. Mais c’est une recherche sans stress, car, à tout moment, on peut s’arrêter. Cette pratique affine l’écoute et le respect.»
Un jour, par exemple, Lucas a administré une fessée trop musclée à Malika. La jeune femme s’est braquée, fin de la séance. De la même manière, les gifles sont bannies ainsi que certains mots. Malika accepte «garce», mais refuse «salope» et «pute», qu’elle juge trop crus. Et Lucas, qu’est-ce qu’il n’aime pas? «J’ai pratiqué la pénétration anale, mais pour l’instant, ce n’est pas très concluant. Le porno m’excite de moins en moins et je ne suis pas fan des sex-toys, dont l’usage me semble vite superflu. Par contre, j’aimerais bien expérimenter les coupures, la cire chaude et pourquoi pas tenter des pratiques à plusieurs. Cela dit, pour le moment, je ne crois pas aux relations libres. J’ai été infidèle par le passé et j’ai ressenti beaucoup de culpabilité. Je me sens bien dans une relation exclusive et je crois que c’est réciproque.»
Education sexuelle pour adultes
Petite pause. La terrasse du café où l’on converse s’est remplie. On parle un peu foot, études, métier des parents, séparation, deuxième élan. Lucas est vraiment un garçon standard. «Vous avez l’air surprise, sourit-il. On colle tellement d’idées fausses sur le BDSM. Il y a tout un imaginaire tordu et vicieux qui accompagne cette pratique alors que, même si je ne suis qu’un novice, je constate que c’est seulement un terrain d’explorations libre, joyeux, sans jugement, ni tabou. Avec Malika, on rit beaucoup.»
D’après lui, ces pratiques sont-elles exceptionnelles ou répandues parmi ses ami(e)s et la jeune génération en général? «Je ne sais pas et c’est tout le problème. Le sexe est encore si secret, si caché. Je trouve qu’en tant qu’adultes, on devrait suivre des cours d’éducation sexuelle exactement comme le font les adolescents. Cela permettrait à chacun, quel que soit l’âge, de découvrir de nouveaux possibles, sans rien stigmatiser.»
Défis minutés
Retour aux explorations, justement. Un peu par voyeurisme, essentiellement par intérêt, pour mieux comprendre pourquoi se faire du mal peut faire du bien. Parmi leurs pratiques, les deux amants se lancent des défis. «On décide par exemple de ne pas se toucher les parties génitales pendant la première heure de nos ébats. On peut aller très près, sur le haut des cuisses, le bas du ventre, etc., mais on évite le point crucial et, du coup, on joue à fond sur la frustration», détaille Lucas. Qui poursuit avec les challenges minutés. «On se fixe une série de tâches qu’on doit accomplir en deux minutes chrono. Comme enlever le t-shirt, mordiller le ventre, les seins, les tétons, etc. Le fait de s’arrêter net, à la seconde près, peut être vraiment crispant, mais génial à la fois. Vous saisissez?» On commence à saisir, oui.
D’autant que Lucas enchaîne avec des scénarios qui relèvent plus de la romance que de la violence. «Se raconter des histoires ou se mettre dans des rôles fait aussi partie de l’arsenal BDSM», explique
le jeune homme. «Et ça peut être très cliché. Par exemple, je demande à Malika d’imaginer qu’elle
est une dame riche et que je suis son jardinier qui entre dans la maison pour venir chercher les clés du réduit à outils… Ou plus cliché encore, je suis un camionneur qui la prend en autostop. Rien qu’avec ces situations un peu débiles, les câlins et les bisous prennent déjà une autre dimension.»
Sur le toit d’un grand hôtel
Les deux amoureux se donnent encore des rendez-vous galants, comme s’ils se rencontraient pour la première fois. «Récemment, on s’est habillés hyper-classe, on s’est fait passer pour les clients d’un grand hôtel de la rade genevoise et on a demandé au concierge de nous ouvrir l’accès au toit. Comme on était hyper-fringués, il n’y a vu que du feu et, là-haut, face au lac illuminé, on s’est sérieusement chauffés!» Le duo a aussi testé l’amour sur les sommets de montagne, dans les herbes folles ou dans une voiture. «Je pourrais avoir une tendance exhibitionniste», sourit Lucas, les yeux plissés.
Le jeune homme ne manque pas de charme, et ce qui frappe, au final, c’est le temps et le soin consacrés à leur amour à travers ces pratiques sophistiquées. «Exactement! Avec le BDSM, on célèbre notre union et notre complicité. D’ailleurs, je suis très touché, car Malika est beaucoup plus confiante qu’au début de notre relation. En raison de ses convictions féministes, elle refusait de faire une fellation à genoux devant un homme. Au fil de nos échanges, elle a pris confiance et peut accomplir ce geste amoureux sans se sentir dégradée. Pareil pour la levrette ou l’épilation, poursuit le jeune homme. Malika ne s’épile pas, nulle part, par principe féministe. Mais lorsque je lui ai proposé de lui couper des poils du pubis qui me dérangeaient, elle a dit OK, car les barrières tombent avec cette pratique. Il n’y a plus de masques, ni de faux-semblants.»
Pruneau, parfait «safeword»
Quand même. La strangulation reste en travers de la gorge, le geste est si violent. «Encore une fois, ce n’est pas de la violence, c’est une expérience, rassure Lucas. Pour nous arrêter quand ça devient
limite, nous avons des safewords, des mots de sécurité, qui ne sont évidemment pas «aïe» ou
«ouille», car avoir mal et le manifester fait partie du processus, mais plutôt «licorne» ou «pruneau». Pruneau? On sourit, presque attendrie. «On se fait un peu mal, résume Lucas, mais on ne se veut que du bien.» Parfait, pour le mot de la fin.
«Les jeunes se questionnent volontiers sur ce qui est «normal» ou non»
Ce qui frappe dans le récit de Lucas, c’est sa manière expérimentale et ludique d’aborder le BDSM. Cet étudiant genevois est-il un cas isolé ou, au contraire, représente-t-il un nouveau courant qui dédramatise la pratique? Réponses de la sexologue Izabela Redmer, cheffe de service de la Consultation de couple et de sexologie à la Fondation PROFA.
Les pratiques BDSM sont-elles moins stigmatisées aujourd’hui qu’avant?
Nous avons en effet remarqué que les écrits scientifiques et les médias décortiquent ces pratiques avec un nouvel éclairage, plus exploratoire, moins jugeant. En revanche, dans nos consultations de sexologie, le BDSM est très rarement évoqué et ne concerne de loin pas la majorité des personnes.
Constate-t-on une différence entre les générations.? Les 25-35 ans sont-ils plus détendus sur la question?
Les jeunes recherchent de plus en plus un espace pour parler de leur sexualité. Dans nos consultations, ils abordent facilement leurs difficultés, se questionnent sur ce qui est «normal» ou non. Il est clair que leur apprentissage de la sexualité s’est nourri des informations disponibles sur le Net et de la large diffusion de films pornographiques. Comme le BDSM fait partie de cette offre, les jeunes se sont fait leur propre vision de ces pratiques sexuelles, ce qui ne signifie pas encore qu’ils en soient proches.
Plus généralement, comment expliquez-vous que se faire du mal puisse faire du bien?
Sur le plan scientifique, lorsqu’on ressent la douleur physique, le corps libère de l’endorphine, ce qui peut mener à un plaisir intense. Sur le plan relationnel, ces pratiques exacerbent la danse entre les pulsions d’Eros et de Thanatos, de l’union et de la désunion. Dans les relations sexuelles, les jeux de domination et de soumission sont souvent un levier important. N’appelle-t-on pas un orgasme la «petite mort»? L’expression du visage de l’extase n’est-elle pas proche de celle de la douleur?
Y a-t-il un profil type d’adeptes BDSM?
Les personnes qui consultent chez nous et invoquent le BDSM sont pour la plupart des personnes qui ont un passé traumatique, marqué par des abus, des agressions sexuelles, des climats de violence. Les codes prédéfinis de ces pratiques peuvent donner à ces personnes le sentiment de reprendre le contrôle de leur intimité, de leur sexualité. La démarche contractualisée du BDSM, souvent basée sur le consentement, leur offre un cadre protecteur. Les difficultés surviennent parfois lorsqu’il n’y a plus d’accord réciproque sur les limites possibles, ce qui entraîne la souffrance de l’un ou des deux partenaires. C’est à ce moment que les couples peuvent faire appel à nos spécialistes.
Pour aller plus loin, retrouvez ci-dessous l'épisode du podcast Brise Glace: Dans la vie de Clémentine, maîtresse BDSM
Marie-Pierre Genecand
Source : https://www.letemps.ch/societe/lucas-26-ans-sadomasochisme-affine-relation-couple?fbclid=IwAR2ku1Sr4QDKOeYX4sNqwQ_660scpewUs0jQQ2s3uwwlqBctSLDIcTadNIo
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