Douleur, humiliation et excitation: comment les dominatrices apprennent-elles à soumettre?
Entre compagnonnage et ateliers portés sur des pratiques sadomasochistes, les dominas professionnelles doivent piloter leur propre formation, indispensable pour une sexualité sans risques.
«En tant que dominatrice, on est engagée éthiquement et politiquement, puisqu'on est responsable des stéréotypes que l'on véhicule», affirme Maylis Castet. | Maria Vlasova via Unsplash
Donner des coups de martinet, faire couler la cire d'une bougie, traiter l'autre comme un objet… En prise quasi constante avec le risque, les dominatricesdoivent maîtriser de nombreuses compétences pour ne pas franchir les limites avec lesquelles elles flirtent. Il s'agit de connaître l'anatomie, de doser justement la douleur, d'être conscientes de ce qu'impliquent, psychologiquement, les actes et les mots. Autant de savoirs qui se transmettent dans la pénombre des clubs et dans les traces des dominas déjà en place.
«C'est principalement en sortant en clubs BDSM, en voyant comment les autres jouaient et en expérimentant sur des partenaires et sur moi-même que j'ai appris le métier. Pour savoir ce que ça fait de se faire fouetter, de recevoir des aiguilles», retrace Alex DirtyVonP, dominateur et professeur de shibari –une technique de bondage japonaise– à l'École des cordes. Comme beaucoup de ses confrères et consœurs, il a appris son métier sur le tas. Un diplôme officiel n'existant pas en France, les dominas sont souvent autonomes au moment de leur apprentissage.
Un développement du sexe créatif
«Je suis beaucoup allée en Allemagne, notamment au festival Xplore, qui propose des ateliers pratiques ou créatifs sur la sexualité. Vous pouvez apprendre comment utiliser un martinet, les tenants et les aboutissants du fétichisme des pieds, comment rendre une femme fontaine, comment mettre en place un scénario», retrace aXelle de Sade, dominatrice et créatrice de l'École des arts sadiens, où l'on enseigne les fondamentaux du BDSM et «l'exaltation de la fantasmagorie». Depuis son passage au Xplore, elle a participé à l'importation du concept allemand dans l'Hexagone, avec le festival Erosphère.
Avec la libération de la sexualité créative et la banalisation des kinks (les excentricités sexuelles), les points d'entrée vers le BDSM se sont aussi multipliés en France. À Paris par exemple, on peut apprendre le shibari auprès de l'association Port d'attaches, à l'atelier Simonet ou à l'École des cordes, s'initier aux jeux de couteaux dans les ateliers de PariS-M, ou encore, depuis peu, découvrir de nombreuses pratiques à l'École des arts sadiens.
Tout cela, c'est sans compter ce que peut offrir internet: des formations à l'étranger dispensées par écrans interposés, ou encore la mine d'informations que constitue Fetlife, un réseau social international entièrement dédié au BDSM, aux kinks et aux fétichismes. «Grâce à internet il y a eu un développement du sexe créatif, et de la circulation des connaissances et des savoirs, dans la communauté BDSM comme dans celle des travailleurs et travailleuses du sexe», estime aXelle de Sade, qui est également à l'origine d'un groupe Facebook destiné aux échanges entre dominatrices.
«Il faut savoir ce que chaque pratique peut engendrer»
Les travailleurs et travailleuses du sexe peuvent apporter une aide précieuse concernant les manières de professionnaliser son activité. Quelle tarification appliquer, comment gérer son argent, comment interagir avec les instances administratives, comment se protéger en cas de violences... Autant de questions auxquelles le Syndicat du travail sexuel (Strass) peut apporter des réponses, notamment lors de leurs «Putains de rencontres».
À l'instar du compagnonnage dans certaines professions, les dominas qui pratiquent déjà de manière professionnelle peuvent transmettre leurs connaissances aux débutantes, en pratiquant en duo. «La spécificité de la domination professionnelle, c'est que vous jouez avec des accessoires et des pratiques à risques. Si on veut s'y former, on fait souvent appel à une collègue qui maîtrise cette pratique, pour qu'elle nous explique comment faire», détaille aXelle de Sade, qui a d'ailleurs réalisé sa première séance tarifée, une poignée d'années plus tôt, en compagnie d'une autre domina afin de se sentir plus à l'aise.
Avant d'être confiant dans son rôle de dominateur et de recevoir ses premiers clients, Alex DirtyVonP a attendu d'avoir plusieurs années d'expérience à son actif. «Il y a beaucoup de risques physiques et psychologiques, on peut vraiment blesser les personnes en fonction des pratiques qu'on propose. Ne serait-ce que pour les jeux de respiration, les pratiques à impact, mais aussi l'humiliation ou la dégradation. Il faut savoir ce que chaque pratique peut engendrer et connaître les contre-indications», développe le professeur, pour qui une expérience solide est un prérequis indispensable à l'exercice du métier.
Inventer ses propres scénarios
Si les dominas sont souvent autodidactes et apprennent aux côtés de leurs pairs et de leurs partenaires, beaucoup n'échappent pas au male gaze –le concept selon lequel la culture dominante est présentée d'une perspective masculine, cisgenre, hétérosexuelle–, largement répandu dans la sexualité, et s'en tiennent aux scénarios les plus répandus.
Pour la dominatrice Maylis Castet, autrice de l'ouvrage Merci Madame, les dominas restent trop souvent soumises à la volonté d'hommes qui imposent leur désir et une certaine vision de la domination. «On apprend à bosser en se basant sur les représentations qui nous sont données, et celles-ci sont stéréotypées. Il faut une grande connaissance de soi et univers érotique étoffé pour s'émanciper des clichés et oser inventer une manière de dominer cohérente avec ses propres désirs et son plaisir.»
Sexologue de formation et féministe, la dominatrice refuse les insultes sexistes réclamées par de nombreux clients et invente de nouveaux scénarios: «C'est un jeu. Par exemple, je les empaquette comme un siège, je m'assieds dans le siège et je lis des trucs féministes à voix haute.» Hors des récits traditionnels, Maylis Castet a pris le temps de réfléchir aux implications éthiques de son activité, pour jouer le jeu d'une domination libérée du regard prescripteur masculin. «En tant que dominatrice, on est engagée éthiquement et politiquement, puisqu'on est responsable des stéréotypes que l'on véhicule.»
Après l'apprentissage des pratiques, des risques qu'elles engendrent et des manières d'y réagir, s'émanciper de ses modèles pour trouver sa propre façon de dominer reste un cheminement personnel que l'on retrouve dans de nombreux métiers créatifs et artistiques.
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