Fréminville : un marin, archéologue et travesti
Aux Saintes, en Guadeloupe, le jeune chevalier Fréminville tombe amoureux de Caroline. La jeune femme l’a soigné après son accident sur la plage de Marigot. La photo en médaillon représente Fréminville, alias « La chevalière ».
Étonnant destin que celui de Christophe-Paulin de la Poix, chevalier de Fréminville. Marin, archéologue, il finit sa vie à Brest en 1848, où « Mademoiselle Pauline » était avant tout connu(e) pour son goût du travestissement.
Mac Orlan qui a connu le chevalier de Fréminville à Brest, dans les dernières années de sa vie, le décrivait comme « une tête de vieille tortue rasée de près et boucanée par le soleil des Antilles ». Il louait alors l’ouverture d’esprit des Brestois. « Quelle ville de France, écrivait-il, se montrerait, de nos jours, aussi tolérante pour l’innocente manie d’un vieil homme possédé par on ne sait quel démon intérieur ? » Car Christophe-Paulin de la Poix, chevalier de Fréminville, officier de Marine avec près de trente ans à la mer, explorateur, archéologue de la Bretagne, était aussi connu comme « Mademoiselle Pauline », ou « La chevalière », en raison de son goût pour le travestissement en costumes féminins.
Trente ans de marine à voile
Né le 24 janvier 1787, à Ivry-sur-Seine, Fréminville choisit très tôt la carrière maritime. À 14 ans, en 1801, il devient aide de camp de La Touche-Tréville. Il se distingue lors de l’attaque de Boulogne par Nelson, puis participe à la sanglante répression de l’armée française à Saint-Domingue (l’actuelle Haïti) par le général Leclerc, dont il accompagne la dépouille en métropole. Sur le bateau, le jeune officier se plaint de l’épouse du général, Pauline Bonaparte, sœur du futur empereur
En 1806, il est membre d’une expédition dans le grand nord contre les baleinières britanniques. Fréminville développe ses connaissances en hydrographie. Très bon dessinateur, il ne cesse de « croquer » les paysages et les curiosités naturelles ou historiques dans les contrées qu’il traverse. En 1807, il est nommé lieutenant de vaisseau. Royaliste affirmé, il poursuit sa carrière sous la Restauration, même s’il n’obtient pas le commandement d’une campagne d’exploration. Reste que Fréminville, entre 1818 et 1831 ne cesse de voyager sur les océans. Il est notamment chargé de tester le Loch Bouger, un instrument d’hydrographie, qui ne le convainc guère.
Amour tragique aux Saintes
Fidèle aux Bourbons, Fréminville ne semble guère goûter la monarchie de Louis-Philippe, instaurée en 1830. Il prend alors sa retraite et s’installe à Brest. Il écrit beaucoup, mais se singularise surtout par ses déguisements en femme.
Fréminville a, en effet, subi un profond traumatisme amoureux, en 1822, lors d’un séjour dans l’archipel des Saintes, aux Antilles. Là, le chevalier tombe en pâmoison à la vue d’une jeune femme, Caroline, qui le soigne après un grave accident sur la plage du Marigot alors que Fréminville s’est aventuré en mer pour recueillir des coquillages. Les deux jeunes gens s’éprennent l’un de l’autre, sous le rigoureux chaperon de la sœur de la jeune femme. Mais Fréminville doit embarquer précipitamment en octobre, malgré la passion qui le consume. Pendant plusieurs semaines, son navire croise autour des Saintes. Sa fiancée se désespère, croit qu’il l’a abandonnée. Le fringant officier de Marine ne revient qu’en décembre aux Saintes, pour apprendre que, se pensant oubliée, Caroline se serait suicidée en se jetant à l’eau, là où lui-même avait eu son accident…
« La chevalière »
Le chevalier est inconsolable. La perte de Caroline est un véritable choc psychologique. On est aussi en pleine période du romantisme littéraire, si prompt à célébrer les amours tragiques ou impossibles. De retour en métropole avec la robe que portait la jeune Antillaise, il commence à prendre l’habitude de s’en vêtir.
Retiré à Brest, Fréminville se lance dans les études historiques, tout en conservant son goût pour le travestissement qui fait sans doute sensation dans la cité du Ponant. Il en conserve le surnom de « chevalière ».
En 1831, Fréminville publie un curieux « Essai sur l’influence physique et morale du costume féminin », dans lequel il explique que les vêtements féminins « agissent délicieusement sur le système nerveux d’un être délicat et lui font éprouver intérieurement des jouissances inconnues ». Retiré à Brest, Fréminville se lance dans les études historiques, tout en conservant son goût pour le travestissement qui fait sans doute sensation dans la cité du Ponant. Il en conserve le surnom de « chevalière ».
En 1913, « Les Annales de Bretagne », chroniquant ses mémoires de marin, notaient que Fréminville pouvait être considéré comme l’un des pères de l’archéologie bretonne (lire ci-dessous), mais « malheureusement, il se signala à l’attention de ses contemporains et des curieux de l’histoire anecdotique par son étrange manière de se déguiser en femme ». Les observateurs soulignent, eux, surtout la tolérance des Brestois qui en avaient vu d’autres.
Un pionnier en Bretagne
Dans le premier volume de « Antiquités de la Bretagne-les Côtes du Nord », édité en 1837, Fréminville rend compte de deux visites qu’il fit à Lanleff, la première, sans doute, en 1810, la seconde en 1815. Il présente le « Temple », comme « un édifice gaulois consacré au culte du soleil ».
Marin, hydrographe et fin dessinateur, Fréminville a croqué les curiosités naturelles, historiques et archéologiques des nombreux pays qu’il a visités. Sa manière de dessiner les personnages apparaît d’ailleurs particulièrement nouvelle, presque proche des auteurs de la BD moderne. En 1831, alors retraité, le chevalier de Fréminville se passionne pour le passé de la Bretagne. Il participe ainsi à un mouvement intellectuel qui, quelques décennies après la Révolution française, remet en valeur le passé antique et médiéval de la péninsule. Un phénomène qui remonte à la fin du XVIIIe siècle, avec la naissance du courant bretoniste, puis la création de l’Académie celtique, en 1804, sous le patronage de Napoléon. On y retrouve Cambry, auteur d’un « Voyage dans le Finistère », présenté comme l’un des premiers ouvrages d’ethnologie bretonne et avec lequel Fréminville entretient des liens. Pendant plusieurs années, Fréminville parcourt la Bretagne pour recenser les « Antiquités » et laisse un témoignage fort intéressant sur l’état dans lequel elles se trouvaient dans la première moitié du XIXe siècle.
Bien entendu, Fréminville n’échappe pas aux travers de son temps. Il relaye certains clichés nébuleux de monuments, comme le « Temple » de Lanleff, dans lequel il voit une ancienne commanderie. Lui-même appartenait à une loge brestoise qui se revendiquait des anciens templiers du Moyen Âge. L’importance de ses travaux en fait incontestablement l’un des précurseurs des études archéologiques et historiques en Bretagne.
Wikipedia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Chevalier_de_Fréminville
Je suis perplexe sur la connaissance que Mac Orlan (1882-1970) a pu avoir du chevalier de Fréminville, mort en 1848...
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